Histoire Géologique de Ua Pou

LA LEGENDE

Ia topa iho te à, i te pō, ùa tu Oatea, ùa ana ùnaù i to ia tau Paíoío peenei à :
La nuit s’apprêtant à descendre, Oatea se dressa et invoqua ses Forces de la façon suivante :
As night began to fall, Oatea rose up and called on his strength in this manner:

« Aka òa e, aka poto e, aka hana e »
« Racines longues, racines courtes, racines courbes »
“Long roots, short roots, knotted roots”

« Aka nui e, aka iti e, hakatu, hakatu te haè »
« Racines énormes, racines minuscules, dressez-vous pour bâtir une maison ! »
“Large roots, small roots, rise to create a house!”

Ia paò èka te ànaunau, ùa vae Oatea i te tuàka ò te haè
L’invocation terminée, Oatea choisit l’emplacement de la maison.
Once finished, Oatea chose the place for the house.

‘A tahi a hakatu e ùa pou, i peàu ìa ai : « ò UA POU »
Puis ayant dressé deux piliers, il dit alors : « c’est UA POU »
Then, after erecting two pillars, he said: « this is UA POU »

Ua Pou, ou « les piliers » de légende, doit son nom aux spectaculaires pitons dominant l’intérieur de l’île, lui conférant ce relief incomparable et caractéristique. De la naissance légendaire à la singularité scientifique il n’y a qu’un pas. Le paysage remarquable qu’offre Ua Pou résulte d’une très longue histoire géologique.

DE LA NAISSANCE

La plupart des îles de Polynésie française sont nées d’un phénomène géologique, appelé « point chaud ». Ainsi, comme les autres archipels, les Marquises forment un archipel d’îles volcaniques anciennes, orienté selon du SE au NW.

Conformément à la théorie de la tectonique des plaques, la lithosphère océanique se déplace sur une couche plus profonde, solide et visqueuse, du manteau terrestre, durant des dizaines de millions d’années. Au-dessus d’un point fixe, le « point chaud », sorte de « chalumeau » géant, une montée magmatique plus superficielle perfore la croûte terrestre en donnant naissance à un volcan, d’abord sous-marin puis aérien. Ce phénomène se renouvelle au fil du temps, générant des alignements de volcans de plus en plus anciens et inactifs à mesure qu’ils s’éloignent vers le NW. Cependant, cette théorie n’est pas entièrement validée par les scientifiques dans le cas des Marquises, car aucune trace d’activité sous-marine de point chaud n’a été détectée au SE de l’archipel et l’alignement des édifices volcaniques n’est pas rigoureusement parallèle à la direction de déplacement de la plaque Pacifique.

À l’inverse des autres archipels polynésiens et îles marquisiennes, Ua Pou se distingue par la présence en grande quantité d’une roche volcanique particulière, la phonolite (du grec phonos = son, sonore, cette roche « résonnant » sous les coups de marteau du géologue), qui confère aux sols de l’île une teinte plus claire, contrairement à celle, rougeâtre, plus commune ailleurs. Les laves phonolitiques occupent près de 65% de la surface de l’île tandis que les laves basaltiques, si caractéristiques des îles volcaniques du Pacifique, n’en couvrent que 27%.

à la formation de l’île

Ua Pou est une île haute volcanique, de 105 km2 de superficie, dont l’édification s’est réalisée sur près de 2,5 Ma. Elle possède un relief escarpé, peu modifié par l’érosion, et ne présente aucun récif corallien sur son pourtour. Des falaises plongent dans la mer jusque dans les fonds sous-marins et sont constamment érodées par les courants du Pacifique Sud. Chaque crête est séparée par de profondes vallées débouchant sur des baies dans lesquelles sont localisés les principaux villages. Notre village de Hakahetau se situe au NW de l’île. De gigantesques pics forment les points les plus élevés de l’île : Oave (1 203 m), Pouakei (1 034 m), Matahuena (1 028 m), Poumaka (979 m), Poutetainui (970 m), Poutemoka (683 m), etc. Cependant, contrairement aux autres îles marquisiennes, comme Ua Huka, Fatu Hiva, Nuku Hiva, Hiva Oa ou Tahuata, Ua Pou ne possède pas de « caldeira » – une dépression volcanique circulaire – bien marquée, mais une chaîne centrale d’où sont sortis ces pics phonolitiques.
Comme l’ensemble des îles de Polynésie, sous l’action de l’érosion et de la subsidence, l’île se transformera progressivement en île basse, puis en guyot sous-marin, mais pas en atoll du fait de l’absence de récifs coralliens dans ce secteur.

Par empilements successifs de coulées de lave basaltique, s’est d’abord constitué un grand volcan-bouclier de type hawaiien. Une seconde phase d’éruptions volcaniques a permis l’émission de coulées de lave plus claires, car plus évoluées, composées de phonolites. Les nombreux pitons pointus ainsi que le dôme-coulée prismé de Hakahau, sont les traces, visibles dans le paysage, des anciennes extrusions et coulées magmatiques visqueuses.

Mais d’où viennent ces pitons pointus ?

Les laves les plus anciennes retrouvées sur l’île datent d’environ 4 millions d’années (Ma) mais une grande partie de l’activité se serait produite entre 2,9 et 2,4 Ma, par des émissions successives de laves basaltiques. Si le basalte est produit par une fusion partielle du manteau terrestre, la phonolite provient de la lente cristallisation et de l’évolution du magma basaltique lors de son stockage dans une chambre magmatique. (schéma). Les pitons colossaux de Ua Pou se sont donc formés à partir d’un magma évolué, très visqueux et relativement chaud (~ 870°C), qui a créé des sortes d’aiguilles ou « protrusions », au cours de la seconde phase éruptive, vers 1,8 Ma, dans la zone centrale du volcan. Habituellement, de telles aiguilles ont tendance à s’écrouler sous l’effet de la gravité ou parce que les gaz volcaniques emprisonnés tendent à déstabiliser la masse magmatique visqueuse. Or, celles de Ua Pou ont résisté, probablement du fait d’une quantité moins abondante de ces gaz ou d’une moindre action de l’érosion lors de leur formation.

Les éléments géologiques perceptibles dans la vallée et ses alentours

Les coulées de lave
Sur l’ensemble de l’île, des coulées de lave, principalement basaltiques, s’empilent jusqu’à près de 300 m d’épaisseur. Elles sont parfois entrecoupées de niveaux rouges, correspondant à d’anciens sols formés entre deux épisodes éruptifs. Ces formations sont en accord avec la formation classique d’un volcan-bouclier de type hawaiien, et on peut en observer en arrivant à Hakehatau par la mer.
D’autres coulées de laves plus évoluées, phonolitiques, sont observables dans la vallée de Hakehatau. Elles se localisent en position haute (sommitale) ou basse (basale). Les coulées basales sont les moins représentées dans la vallée et seul un affleurement de taille réduite est observable, au NE de Hakahetau, au fond de la baie Hakahinui. Ces coulées basales sont épaisses de quelques mètres et sont altérées (couleur blanchâtre à verdâtre clair). Les coulées sommitales, plus récentes, et vraisemblablement émises depuis la ride centrale, sont, au contraire, bien plus abondantes dans notre vallée. Elles ont généralement une teinte claire et sont parfois altérées. Leur épaisseur peut atteindre une dizaine de mètres, et elles se sont épanchées radialement vers les côtes, comme on peut le voir dans la baie de Hakahetau, entre Hakatutupe et Uia.

Les lahars
Les « lahars » sont des coulées de boue, de composition hétérogène, et d’origine volcanique, qui ont pu se former lors d’épisodes de déstabilisation de l’édifice volcanique en cours de construction. Ces formations atteignent souvent plusieurs centaines de mètres d’épaisseur, comme entre Hakahetau et Hakatao. Au bout du village de Hakahetau, on observe une telle formation, de couleur claire, reposant sur une coulée basaltique altérée dont la partie supérieure est bien visible. Les lits clairs, horizontaux, sont épais de plusieurs centimètres et renferment des éléments plus grossiers et sombres. Ailleurs, comme sur la piste entre Haakuti et Hakehatau, ces dépôts sont moins fins et/ou moins bien lités.

Les protrusions phonolitiques et leurs fameux « cailloux fleuris »
Situés essentiellement dans la partie centrale de l’île, les plus spectaculaires pitons de l’île s’alignent selon deux directions majeures, N-S et NW-SE, cette dernière correspondant à la direction d’allongement des Marquises. Ces pics, issus de la ride centrale de l’île, recoupent les coulées précédemment décrites, et dominent les crêtes centrales de l’île de plusieurs centaines de mètres. Ainsi, le Poutemoka est la protrusion phonolitique surplombant notre vallée de Hakahetau. Des éboulis se sont formés ensuite, par action de l’érosion, et proviennent essentiellement de la dislocation des parois rocheuses verticales des pitons de l’île. Cet ensemble de blocs écroulés est maintenu par la végétation dans un équilibre précaire. On retrouve aussi plusieurs fragments érodés dans les galets des fonds de rivière.
Les « cailloux fleuris » proviennent majoritairement des éboulis aux pieds des protrusions phonolitiques. Ils sont formés d’une pâte de teinte jaune-brunâtre, altérée et à l’aspect de silex, et renferment des minéraux jaunes regroupés en forme de petites « fleurs ». [Illustrations : photos et dessins de cailloux fleuris]. Ces « cailloux fleuris » proviennent, en fait, d’une mince zone de 50 cm d’épaisseur sur la partie externe des pitons. A l’intérieur, la phonolite est de teinte gris-bleutée. Comment ont donc pu se former ces roches particulières ?
Au contact de l’atmosphère, la partie externe des aiguilles de phonolite, encore chaude et visqueuse, a rapidement refroidi, en formant une sorte de « croûte ». Les gaz, emprisonnés à l’intérieur de cette lave, se sont évacués en fumerolles par des fractures. Durant leur passage, ces fumerolles gazeuses chaudes (~700°C) ont emporté des éléments chimiques, comme le calcium et le fer, à d’autres minéraux magmatiques, et ont permis la cristallisation d’amas de « fleurs » de grenats jaunes, riches en ces éléments, sur les bordures des protrusions. Le reste du « caillou fleuri », de couleur brunâtre, est constitué de verre volcanique altéré, formé par refroidissement brutal de la phonolite. On trouve des équivalents de ces curiosités naturelles ailleurs dans le monde, comme en France (dans le Massif Central) ou en Ethiopie, mais la roche initiale et la nature des « fleurs » sont différentes. Ainsi, les phonolites à grenats de Ua Pou sont les seules connues à avoir développé ces fameux « cailloux fleuris », si prisés des sculpteurs et joailliers.